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Chroniques
Franz Schreker
Christophorus
De Franz Schreker, on connaît – lorsqu'on le connaît ! – avant tout les trois grands succès de la seconde décennie du XXe siècle : Der ferne Klang, commencé en 1903, dont le troisième acte est créé en concert deux ans plus tard, l'ouvrage intégral étant enfin joué sur scène à Francfort en 1912, consacrant son auteur comme l'un des plus grands compositeurs d'opéras de son temps ; Die Gezeichneten, à l'orchestration plus audacieuse, qui vit le jour en 1918 dans le même théâtre, et qui fascina son public ; Der Schatzgräber, projet de 1915 finalement créé en 1920, une nouvelle fois à Francfort, qui deviendra le plus populaire de Schreker. On oublie ainsi les deux tiers d'une production plus vaste qu'on le croit.
C'est la raison pour laquelle l'Opéra de Kiel entreprit sur deux saisons de présenter un cycle Schreker ne laissant aucune place aux habituelles locomotives. Après avoir monté Das Spielwerk und die Prinzessin, pièce intermédiaire entre Der ferne Klang et Die Gezeichneten, créée simultanément à Vienne et Francfort en 1913, et Flammen, la première tentative lyrique de 1901, jouée en version de concert à Vienne en 1902 – le musicien a vingt-quatre ans –, la maison proposait Christophorus, oder Die Vision einer Oper, avant-dernier ouvrage de Schreker, écrit de 1925 à 1927, et dont la première audition, ajournée en 1931 suite aux craintes fondées de manifestations hostiles de la part des nazis, n'aurait lieu qu'une cinquante ans plus tard, à Freiburg. De même que les deux autres opéras, celui-ci fit l'objet d'un enregistrement que propose aujourd'hui le label CPO, une nouvelle fois. Il est à souhaiter de pouvoir entendre un jour au disque Der Geburstag des Infantin (1908) à partir de la nouvelle d'Oscar Wilde dont Schreker a extrait le livret pour Zemlinsky (Der Zwerg), Der Singende Teufel (1928) etDer Schmied von Gent (1932), partant qu'à ce jour sont disponibles Irrelohe (1922) par Peter Gulke chez Sony (1989, Live), Der ferne Klang par Michael Halasz (Naxos, 1989) et Gerd Albrecht (Capriccio, 1991), Die Gezeichneten par Lothar Zagrozek (Decca, 1995) et Gerd Albrecht (Orfeo, 2002), Der Schatzgräber par Albrecht encore (Capriccio, 1990), et bien sûr Flammen et Das Spielwerk und die Prinzessin par Ulrich Windfhur chez CPO (respectivement 2001 et 2000), ce dernier étant également proposé par Albrecht chez Koch Schwann (2000).
À partir d'un sujet très cher aux romanciers, penseurs, psychologues et idéologues de l'époque, à savoir L'artiste est-il un homme ?, Schreker réalise cet opéra qui pourrait bien être une riposte aux attaques de certains critiques mal intentionnés à son égard. Nous n'en dirons pas plus, laissant le lecteur découvrir une œuvre déroutante, tant par son argument – en fait, l'écriture d'un opéra par un élève compositeur qui confond la vie et son œuvre – que par son style largement épuré au regard des opus précédents. Omniprésence de la cloche, importance d'interventions solistes dans un orchestre moins capiteux qu'on s'y serait attendu, place est faite aux voix, avant tout, caractérisées selon les codes traditionnels. Le Chœur de l'Opéra de Kiel et l'Orchestre Philharmonique de Kiel sont conduits par le très précis Ulrich Windfuhr qui ne s'autorise qu'une très relative souplesse, de sorte qu'on devine en la partition un lyrisme quasiment absent de ce disque. Parmi les voix, on saluera la Lisa au timbre attachant, non exempt de couleurs mozartiennes, d'ailleurs, de Susanne Bernhard, le Johann présent de Hans Georg Ahrens, et surtout l'Anselm ferme et vaillant de Robert Chafin.
BB